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Prisonniers dès le berceau, un drame qui se vit sous silence


La Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) qui a la charge de veiller sur les détenus et de faciliter leur réinsertion sociale est en passe de « fabriquer » de véritables phénomènes sociaux. Dans ce milieu carcéral naissent et vivent des enfants qui subissent au quotidien les mêmes affres que les prisonniers condamnés. Sur les 37 femmes majeures détenues, 4 y vivent avec 5 enfants. Votre magazine féminin Queen Mafa a pendant une semaine partagé le quotidien de ces femmes incarcérées avec leurs enfants. Reportage d’un drame qui se passe sous silence.

Wendyam aura 2 ans en septembre 2016. Son lieu d’habitation : la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO). Que fait-il à cet endroit jamais envié ? Il ne le sait pas. Egalement, il ignore que la prison n’est pas la cour familiale ou celle de son père.

Ses journées sont loin de ressembler à celles des autres enfants de son âge. Le petit Wendyam n’a jamais mis les pieds à l’extérieur de la MACO encore moins franchi la grande muraille servant de barrière.

Il passe tout le clair de son temps dans cette grande bâtisse où défilent des Gardes de Sécurité Pénitentiaires(GSP) souvent armes aux poings.

Le garçonnet est arrivé dans cet univers carcéral dès l’âge de 9 mois. Il y a grandi, a appris à marcher et à parler parce que sa mère est condamnée. Condamnée à purger une peine qu’elle ignore.

« Je suis ici depuis plus d’une année. Je n’ai pas encore été jugée. Et je ne sais donc pas quand je vais sortir de la prison », explique, la mère de Wendyam toute désemparée.

Elles sont d’ailleurs nombreuses dans cette situation. « Lorsque j’arrivais à la MACO, mon enfant n’avait que 4 mois. Aujourd’hui il, est âgé de 1 an 9 mois. Je n’ai personne pour m’aider. Mon mari est également emprisonné. Nous attendons d’être jugés », relate Zamtako, une autre détenue toute découragée

Nourri au lait maternel pendant longtemps, « le jeune prisonnier malgré lui », a évolué avec le peu de nourriture non-adaptée (bouillie) à son alimentation que leur offrait par moment le service social de la prison. Il n’a pas bénéficié des bienfaits des légumes pour bien grandir ou de la viande pour être fort, encore moins du «yaourt » tant aimé par les enfants de son âge.

Chétif et moins grand que la moyenne des enfants de son âge, un visage émacié avec un faciès peu semblable à celui d’un bambin, Wendyam a une tendance à se sentir triste et à beaucoup pleurer. Cependant, il vit sa vie comme elle lui est imposée entre les quatre murs du quartier des femmes.

Il est 12h moins le quart, tout bouge dans l’enceinte dans la grande cour abritant la prison. Les va-et-vient des gardes de sécurité pénitentiaire(GSP) entre l’administration et les différents quartiers s’observent à n’en point finir.

Les détenus reconvertis s’attèlent à leur tâche dans l’atelier de soudure et de menuiserie. D’autres s’adonnent à l’arrosage des plantes et le nettoyage des services.

C’est à ce moment précis que Wendyam aux côtés de sa mère accompagnés d’une GSP font leur entrée dans le parloir situé à proximité du quartier des femmes où je les attendais pour un entretien.

Vêtu d’un tee-shirt rouge, la bouche toute bouffie, les cheveux crépus et pieds nus, il est resté presque recroquevillé dans les bras de sa mère lorsque nous lui adressions par moment la parole.

« Wendyam a peur des hommes. Comme il a grandi entre les femmes et il est tout le temps entouré de femmes, c’est pour ça. Quand un homme lui parle, il tremble tout seul et il a peur », lance Napoko, la mère du garçonnet avec un regard hagard et songeur tenant dans ses bras la petite sœur de Wendyam recouvert d’un pagne aux multiples couleurs. Visiblement, l’incarcération de la mère a des impacts négatifs sur l’évolution psychologique du jeune enfant.

 Wendpuiré et son enfant  dans le parloir

La mère et ses deux bambins dans la même cellule

Lorsque Napoko franchissait la grande porte de la MACO, elle portait au dos Wendyam âgé à peine de 9 mois et dans le ventre Wendémi, aujourd’hui âgée de 6 mois.

« Je dors sur un petit matelas avec mes deux enfants dans la même cellule. Nous mangeons ce que nous gagnons. La nourriture est très inadaptée à la croissance des enfants. Cette nourriture ne nous (NDLR : Napoko et ses deux enfants) suffit pas. Je suis toujours en train de demander à manger. La prison est très difficile pour les grandes personnes n’en parlons pas des enfants», fait-t-elle savoir.

Edith Ouédraogo: « la Maco n’est pas un lieu approprié pour l’éducation d’un enfant »

Le droit à l’éducation de Wendyam et de sa sœur leur a été retiré le jour où leur mère a été admise en prison. Elle a peut-être volé, escroqué ou même tué mais ses enfants non.

Les autres compagnons de cellule de Wendyam non plus. Cependant, ils sont tous écroués dans les geôles, subissant du coup la culpabilité de leurs génitrices.

Pourquoi un tel sort réserver à des innocents ? Même le directeur de la MACO, l’inspecteur de sécurité pénitentiaire, Ousséni Ouédraogo ne semble pas comprendre une telle situation. « En tant qu’humain, nous savons que ces enfants ont des besoins spécifiques quant à leur alimentation et leur prise en charge malheureusement au sein de la maison d’arrêt, ils ne sont pas pris en compte. Juridiquement et pénalement, ces enfants sont libres. Ils sont uniquement là du fait de l’infraction de leur mère », explique l’inspecteur Ouédraogo.

Et mon interlocuteur d’ajouter avec un pincement au cœur : « que voulez-vous ? Comprenez qu’il est difficile de défendre la cause de quelqu’un qui n’est pas censé exister  car ces enfants, officiellement n’existe pas dans nos bases de données ».

Ces êtres très fragiles sont protégés par la loi burkinabè seulement dans les textes. Sur le terrain, la réalité est tout autre. Le directeur de la MACO nous confie que selon les dispositions de la loi, l’enfant peut-être retiré de sa mère seulement après deux ans pour le confier à sa proche famille.

 En attendant d’être jugée, cette détenue et son enfant croupissent à la MACO

Pourtant, ces femmes sont souvent abandonnées par leurs maris ou leur famille après leur incarcération. Elles n’ont donc personne à qui confier leurs enfants.

Le cas de la détenue Wendpouiré est très illustrant. « Cela fait plus de 6 mois que je n’ai pas reçu de visiteurs. Je suis rejetée seule face à mon sort. Je suis là comme ça avec mon enfant », confie-t-elle. Et pire, La loi ne prévoit pas de placer ces enfants en famille d’accueil ou centres sociaux.

« Je suis mère de 7 enfants. Je suis ici en prison avec deux enfants. Les cinq autres enfants sont avec ma mère qui, peine d’ailleurs à les nourrir. Leur école s’est arrêtée car c’est moi qui payais leur scolarité. La prison est entrain de foutre en l’air mon avenir et celui de mes enfants », se plaint-elle. Regardez nous dit-elle en indexant son enfant frêle : « ma petite fille là est malade, elle a besoin d’être opérée et je suis sans soutien. Mon mari n’est pas au pays», relate Napoko, toute triste, les larmes aux yeux.

           Une cohabitation très difficile

Les femmes détenues ayant des enfants partagent la même cellule que les autres codétenues. Elles sont regroupées dans une grande salle d’où dégage une odeur qui coupe l’appétit dès le seuil de la porte et pourtant, c’est dans cet endroit qu’elles mangent.

A l’intérieur de ladite salle, se trouvent la douche et le WC. « C’est pas facile mais c’est comme ça, sinon la nuit elles vont faire comment ? C’est pourquoi les toilettes sont dans leur salle de détention », a expliqué mon accompagnatrice. Dans cette pièce, sont exposés horizontalement des matelas tout le long du mur, des sacs, des ventilateurs, de nombreux vêtements et objets étalés çà et là.

« Ha ! Femmes, même en prison elles veulent toujours paraître belles », me suis-je dis dans mon for intérieur à la vue des nombreux produits cosmétiques qui luttent la place avec des seaux de bain. C’est dans ce capharnaüm que vivent ces enfants à peine sortis du giron maternel où aucun espace n’est aménagé en leur nom.

L’air peine à « se promener » dans la pièce pourtant il est l’élément indispensable pour la vie et les enfants en ont fortement besoin. Dans les cellules, la cohabitation n’est pas du tout aisé.

Allons maintenant à la rencontre de « Pagb’naba », (ndlr : la chef des femmes), une dame à forte corpulence, de teint clair et imposante. Dès notre tête-à-tête, vu la manière avec laquelle elle s’exprimait, j’ai compris tout de suite qu’elle n’est pas chef pour rien. Elle avoue ne pas du tout supporter de partager le même dortoir avec des mères et leurs bébés.

 « Quand tu as un peu sommeil, ces enfants passent tout le temps à pleurer. Dans la période de chaleur c’est grave où on coupe le courant. Nous sommes 15 dans notre cellule avec 3 femmes et 4 enfants. Imaginez ce que cela fait quand tous ces enfants se mettent à pleurer tard dans la nuit », explique-t-elle. Son souhait est que les femmes ayant des enfants soient séparées des autres femmes. Pagb’naba n’est pas aussi insensible qu’elle en a l’aire. S’érigeant en avocat défenseur, elle soutient que les autorités trouvent définitivement une solution à la situation de cette catégorie de femme et particulièrement celles qui attendent indéfiniment leur jugement depuis des années.

« Si dehors on lutte contre la délinquance juvénile, ici on forme des délinquants prêts à être mis sur le marché. Un enfant qui grandit en prison, de quoi ou de qui aura-t-il encore peur ? Rien et personne », s’interroge-t-elle désespéramment, la gorge nouée.

         Le cri de cœur de la MACO

Pour le directeur de la MACO, le phénomène des enfants vivant avec leur mère est un drame qui se vit sous silence dans tous les établissements pénitenciers du Burkina Faso.

Les conditions de détention et d’évacuation des prisonniers laissent à désirer, dit-il et la MACO ne dispose pas d’ambulance nonobstant les nombreuses remarques qui ont été faite de par le passé aux autorités.

 Le directeur de la MACO, Ousséni Ouédraogo : « il est difficile de defendre quelqu’un qui n’existe pas »

« Nous avons un véhicule Toyota 4×4 que nous utilisons pour le transport des détenus malades tout comme des femmes enceintes. Lequel véhicule se trouve dans un état critique qui tombe régulièrement en panne », indique l’inspecteur Ouédraogo qui rêve de la création d’une garderie qui pourrait, ne serait-ce qu’un moment, éloigner ces enfants des angoisses des cellules.

« Si des personnes extérieures au niveau du préscolaire venaient prendre ces enfants ne serait-ce quelque temps afin qu’ils se frottent à d’autres enfants, cela les soulagerait énormément », préconise le directeur. En attendant que l’Etat prenne en charge ces bambins ou que les députés votent une loi en faveur de leur protection, les 5 enfants âgés de 6 à 23 mois que nous avons rencontrés croupissent en prison avec leurs génitrices. Sûrement d’autres enfants viendront grossir le lot. Mais, la mère ne pourrait-elle pas bénéficier un jour de l’innocence de son enfant ?

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

  Propos entendus à la MACO

Le quartier des femmes est surveillé par des femmes GSP

Dans le quartier des femmes, l’accès est minutieusement contrôlé. « Aucun homme n’ose s’y aventurier au hasard » ( comprenez par-là qu’il aura chaud) , laisse entendre notre guide du jour qui est bien sûr une femme GSP. Les fouilles et les contrôles sont assurés uniquement que par le genre féminin.

Le processus de réinsertion sociale est une réalité

Parmi les détenues rencontrées, la plupart d’entre elles savent faire « un petit quelque chose ». Pendant que certaines s’adonnent à la couture d’autres fabriquent des sacs qu’elles vendent aux visiteurs. Ces activités permettent de faire face souvent à leurs besoins, fait savoir Wendkuni, une détenue qui attend d’être jugée.

Elles croupissent en prison par faute de lenteur administrative

Ils sont nombreux, ces détenus qui purgent leur peine sans savoir exactement la durée de leur détention. Toutes les femmes que nous avons rencontrées sont dans cette situation. Elles ont passé au minimum chacune 14 mois de détention sans être passées devant un juge. « Il faut que les chefs là voient notre situation. La prison là ce n’est pas facile. On est là depuis, on ne sait pas combien de temps on va faire ici », raconte Pagb’Naba.

Le véhicule de l’intendant sauve une détenue enceinte

A la MACO, les conditions de détention et de travail sont loin de refléter la réalité. Malheur à un détenu malade si son cas nécessite l’apport d’une ambulance. Pas de véhicule pour transporter des cas urgents à l’hôpital. Selon la responsable du service social de la MACO, Ouédrago Edith, n’eût été l’humanisme de l’intendant qui a accepté donner sa voiture, Napoko aurait accouché dans les cellules de la prison sans une véritable assistance médicale.

La prison, un lieu qui épie tout le monde

Selon le directeur de la MACO, la prison c’est comme l’hôpital, aucune personne ne peut dire qu’elle n’y viendra pas un jour. Il souhaite que tout le monde œuvre à donner un visage humain à nos maisons d’arrêt car chacun peut y séjourner un jour où l’autre.

NDLR: Les prenoms des prisonières et de  leurs enfants ont été  changés pour des raisons pratiques.

SOURCE: Queen Mafa

 


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2 comments

Françoise toé Août 21, 2016 at 8 h 41 min

Cet article m’a tellement émue que j’ai pleuré de bout en bout. J’étais à mille lieues de penser que cette situation existe. Il faut diffuser ce document afin d’interpeller les autorités sur cette situation inacceptable. Nous devons également faire un geste pour atténuer la souffrance de ces enfants. Merci de communiquer des informations pour une action concertée dans ce sens. Merci pour cet article. Je suis disponible pour apporter ma contribution et faire quelque chose.
Cordialement

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Dossa Jan 30, 2017 at 17 h 33 min

Bonjour à tous
Je représente l association (GAIA Faso) qui participe au développement et à la promotion de l art thérapie au Burkina Faso. Dans ce cadre un programme de Réinsertion socioprofessionnelle des femmes prisonnières à la MACO (Maison Arrêt à Ouagadougou ).est en cours. Une collecte a été lancée sur le réseau participatif d Ulule, grâce à qui nous espérons récolter des fonds. Vous pourrez voir le détail sur le site en suivant le lien:
https://fr.ulule.com/reinsertion-femmes/
Puis je compter sur vous pour en parler autour de vous et partager le lien, voire soutenir le projet. Merci par avance. Cordialement. Isabelle Dossa

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