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Interview: L.E.J, triplette harmonique


Les jeunes filles de Saint-Denis, révélées sur Internet avec le mashup Summer 2015 et sacrées Révélation scène l’an dernier aux Victoires de la musique, passent à la vitesse supérieure en publiant un disque de chansons originales Poupées russes. L.E.J. revendique un certain éclectisme musical et des harmonies vocales à foison. Interview d’Élisa, l’une des trois forces vives du groupe.

RFI Musique : Après En attendant l’album, disque de reprises, étiez-vous conscientes d’être attendues au tournant ?
Elisa : Bien sûr. Mais comme on a fait plus de deux cents dates pendant deux ans, on s’est dit que certaines personnes ignoraient qu’on était en tournée et qu’elles nous avaient peut-être oubliées. On a abordé cette suite avec appréhension et excitation. Est-ce qu’on a le droit d’être là ? Allons-nous réussir à passer à l’étape suivante ? Il y a toujours ce syndrome de l’imposteur. Pour désamorcer cette peur, Juliette nous répétait durant le processus de création de faire juste ce qu’on aime et de ne pas se laisser paralyser par les attentes. C’était le bon esprit à avoir.

L’idée d’écrire en français et à six mains s’est-elle imposée naturellement ?
C’était une évidence pour nous d’exploiter la langue française sans sonner trop pompeux ou, au contraire, trop simpliste. On a eu la chance d’écrire avec notre manager Ozarm qui a une plume magnifique. Il est professeur de lettres et champion de slam. On a conscience de n’être ni des Bashung ni des Gainsbourg. Mais il y avait une volonté de jouer avec les mots. Concernant la musique, on réarrangeait tellement les chansons au fur et à mesure des concerts qu’à la fin elles n’avaient presque plus rien à voir avec les originales. Cela nous a permis d’avoir un pied à l’étrier au moment de la composition. Ce qui était plus difficile, c’était de se séparer des barrières du classique. Par exemple, les règles harmoniques. Il n’y pas eu de leader dans l’approche musicale de cet album. Cela a été une sorte de « bordel » organisé, mais au final assez fluide puisqu’on marche de cette manière dans la vie.

Dans la chanson éponyme de l’album, vous dites « On est trois comme les mousquetaires/ Aucune nouvelle de D’Artagnan/Trois comme les couleurs primaires ». Un autoportrait sur votre amitié ?
Dans l’esprit de certains, cette histoire d’amitié est un truc inventé par la maison de disque et nous serions un groupe créé de toute part. Ce qui n’est pas le cas puisqu’on se connaît depuis la crèche. On avait envie d’expliquer notre moteur et la force de notre trio. C’est une présentation en quelque sorte instinctive. On avait besoin de mettre en mots et en musique ce qu’on ressent les unes pour les autres.

Pourquoi ce clin d’œil à Alain Bashung dans le titre La nuit ?
Parce qu’on l’admire et particulièrement sa chanson La nuit je mens. C’est une des plus belles de la planète. En faisant des mashup, on avait cette dynamique des mélanges et des références. Pour les compositions, on avait parfois cet automatisme. Lorsqu’on a écrit le refrain « La nuit, on ne dort pas, on danse », on a pensé à Bashung. C’est ce qu’au fond dit la chanson : la nuit, on se ment, on se cache de soi-même, on sort pour ne pas se retrouver face aux murs. Il y a quelques autres clins d’œil dans l’album. L’un à Booba dans Miss Monde ainsi que des références-emprunts à Jean de la Fontaine dans Sainte sainte n’y touche. On adore le fait qu’il y ait plusieurs lectures aux textes.

La marée fait-elle à la fois écho aux migrants et à la peur post-attentats ?
Des retours qu’on a eus, on remarque que cette chanson s’interprète vraiment très personnellement. Beaucoup n’ont pas vu ces messages-là. Cela parle de départ, de migration, mais pas forcément physique. Après, clairement, ce texte est né de la peur à la suite des attentats. On s’est dit que nous Français, on n’avait pas besoin de migrer pour sauver nos vies. Et pourtant les migrants sont jugés tout le temps. On oublie bien vite que lors de la Seconde Guerre mondiale, c’est nous qui sommes partis de France pour aller là-bas. Comment réagirons-nous si un jour on avait besoin de bouger ?

Vous évoquez l’omniprésence des écrans et du tactile dans Dis Siri. N’est-ce pas paradoxal alors que vous avez été révélées par la toile ?
On a écrit la chanson en se mettant à la place d’une mère. Entre notre manager et nous, il y a dix ans d’écart, ce qui n’est pourtant pas énorme. Lui a déjà du mal à comprendre quand il nous surprend à faire des choses sur notre téléphone. Et moi quand j’observe des collégiens, je ne capte pas forcément ce qu’ils font. Donc il y a un gros décalage entre les générations. A ce rythme-là, on risque de ne rien comprendre à nos enfants lorsqu’on va devenir mères. Et puis il suffit de regarder les gens qui photographient leur plat au restaurant avant de les manger. Ce qui les intéresse, c’est surtout de le mettre en photo sur Facebook ou Instagram plutôt que la saveur. Il y a plus de connexion virtuelle qu’humaine, c’est indéniable. Après, c’est grâce à Internet que le groupe a été visible et ce serait mentir de dire que mon portable n’est pas l’extension de ma main. Même si on considère ça comme insupportable, on ne peut pas s’en passer.

« Sous prétexte qu’on est belles/Faudrait être polies et se taire ». Une déclaration d’affirmation ?
Lorsque tu es une femme, et cela marche dans tous les milieux, il faut se battre un peu plus pour être écoutée. Au moment de l’élection présidentielle aux États-Unis, on a fait un post Facebook dans lequel on disait simplement d’aller voter. On ne précisait pas pour qui. On a reçu des commentaires violents qui nous demandaient de nous taire et de faire juste notre métier. Ce n’est pas parce qu’on est des chanteuses et des femmes que nous n’avons pas d’avis. Donc si on avait envie de l’ouvrir, on l’ouvre.

Comment avez-vous réagi lorsqu’un hebdo musical avait titré en 2016 « Pourquoi tout le monde déteste autant les L.E.J » ?
On a réagi toutes les trois d’une différente manière. Moi j’ai pleuré et je me suis fait gronder par ma mère. Elle m’a dit : « C’est très prétentieux de se mettre dans un tel état pour un article comme ça ». J’ai eu beaucoup du mal à lui expliquer que ce n’était pas le papier qui me faisait pleurer, mais le fait qu’on associe nos visages à quelque chose de très négatif. Surtout que parallèlement à cet article, un autre nous souhaitait du mal. C’est assez curieux comme démarche, c’est peut-être très français. On a le droit de ne pas aimer ce qu’on fait, mais encore une fois, c’était un problème d’image. Cela ne critiquait pas notre travail, seulement notre façon d’être et de paraître. Il était écrit notamment : « Elles sont beaucoup trop contentes d’être là ». On va bientôt devoir s’excuser de sourire. Il y a quand même un problème ici avec le succès ainsi qu’avec les reprises. Mais que nos détracteurs se rassurent : on va jouer désormais plus de chansons originales lors de nos concerts (rires).

L.E.J. Poupées russes (ULM) 2018

RFI


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