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ÉTIENNE MINOUNGOU, DIRECTEUR DES RECREATRALES A PROPOS DU PUTSCH: «On a été menacé et poursuivi»


Artiste engagé et acteur culturel majeur à Ouagadougou, Étienne Minoungou a vécu le putsch militaire au Burkina Faso. Mais pour rien au monde il ne voulait rater l’invitation des Francophonies en Limousin. Arrivé à Limoges pour l’ouverture du festival de théâtre ce mercredi 23 septembre, il témoigne de la situation des artistes au Burkina Faso. Entretien avec le comédien, metteur en scène, cofondateur et directeur des Récréâtrales à Ouagadougou, un festival qui est cette année l’invité d’honneur à Limoges.

Étienne Minoungou : C’est extrêmement important pour nous. L’art a vocation de témoigner du silence, mais aussi de l’indignité. Donc, c’est une belle opportunité pour nous. Moi, j’arrive de Ouagadougou où j’ai pris activement parti pour la résistance citoyenne, pour la liberté, pour la dignité et la démocratie. Les Francophonies sont une occasion pour nous de témoigner de la souffrance du peuple burkinabè, mais aussi de son courage, de sa force et de sa détermination. Il s’agit aussi de faire écho de l’aspiration du peuple burkinabè à la liberté et du rétablissement de l’ordre constitutionnel.

 Quelle était votre situation à Ouagadougou depuis le putsch militaire ?

Une situation terrible d’angoisses, mais aussi de révolte et de courage, comme tous les Burkinabè que ce soit les femmes, les, jeunes, les vieux, les ouvriers, les fonctionnaires… Tout le peuple burkinabè a pris le coup d’État comme un coup de poignard dans le dos de la démocratie. Donc, les gens se sont immédiatement exprimés et organisés contre cette imposture. Ils se sont battus au prix de la vie de plusieurs dizaines de personnes, jusqu’ici on a dénombré douze morts et plus de 150 blessés. J’ai quitté Ouagadougou dans une tension extrême, parce que la situation militaire était dangereuse. Il y avait le risque d’un conflit armé et d’un désastre humain. Les populations étaient terrées chez elles. J’ai donc quitté Ouagadougou dans une extrême peur, mais en même temps, aussi, dans une espérance. La lutte n’était plus politique, mais morale.

 

En tant qu’artiste, avez-vous fait des actions concrètes contre le putsch ou étiez-vous obligé de vous cacher ?

A ce moment, j’ai surtout agi en tant que citoyen. Bien sûr, l’art engage et m’engage peut-être plus que les autres. Mais tous les Burkinabè étaient engagés pour défendre la liberté. J’ai participé en tant que Burkinabè à la résistance, aux luttes, aux mouvements de protestation. Bien sûr, on a été menacé, dispersé, poursuivi. Nous avons essayé, dans la prudence, de regagner nos quartiers, nos maisons, tout en continuant d’être très actifs dans la mobilisation.

 Aujourd’hui, vous transformez les rues de Limoges avec l’esprit des Récréâtrales. Et pas n’importe quelle rue : on parle de l’avenue dédiée au libérateur de la France en 1944, Charles-de-Gaulle ! Et la scénographie urbaine d’inspiration burkinabè, pour cette avenue, prend vie un an après la révolution d’octobre 2014 au Burkina Faso. Et une semaine après le putsch militaire, et quelques heures après le retour du gouvernement de la Transition burkinabè…

Oui, c’est tout un symbole et c’est l’occasion pour moi de demander à la France, au Président François Hollande, d’être héritier de la lutte de la France pour la liberté, pour la dignité et donc de prendre fait et cause de façon sincère et juste aux côtés du peuple burkinabè qui ne lutte que pour sa liberté. Si la France veut se montrer solidaire de son histoire et de l’histoire des peuples en lutte pour leur indépendance, pour leur liberté, c’est en ce moment qu’elle doit le prouver. Investir l’avenue Charles-de-Gaulle à Limoges pour témoigner de l’esthétique des Récréâtrales à Ouagadougou, c’est pour moi le symbole des « nouvelles fraternités » qui doivent être à l’œuvre aujourd’hui dans le monde, parce que nous sommes tous héritiers d’une histoire commune.

 « Nuit blanche à Ouagadougou » était le titre d’une pièce de théâtre incroyablement prémonitoire, conçue il y a deux ans, jouée au moment même de l’insurrection populaire en octobre 2014. Quel est aujourd’hui le rôle de la culture et des artistes dans cette transition démocratique retrouvée au Burkina Faso ?

Le rôle des artistes dans la transition est toujours le même : l’éveil des consciences, la création d’espérances, la création de rêves. Une génération d’artistes engagés dans leurs créations à porter les espérances de leurs concitoyens. Au moment où la transition a été interrompue par le putsch militaire, de nouveau, les mêmes acteurs, les artistes dans la société civile se sont exprimés. Je crois qu’ils comprennent davantage que leur œuvre, leur travail doit être sans relâche. Ce qui m’a le plus frappé, c’est que le studio Abazon de l’artiste rappeur burkinabè Smokey a été saccagé. Qu’on estime en temps de guerre que les espaces de création sont des espaces de menace, c’est symptomatique de quelque chose. Cela m’a profondément touché. Quand on en arrive à vouloir démonter les espaces de la création, cela veut dire qu’on veut démonter les cathédrales de l’esprit, les lieux d’invention de rêves et de possibilités d’avenir.

 Avec vous et la présence d’autres artistes des Récréâtrales, les Francophonies souhaitent faire souffler un certain esprit artistique à Limoges. Comment définiriez-vous cet esprit burkinabè ?

C’est la convivialité, la discussion sociale permanente, la cohabitation pacifique, mais aussi la volonté de faire de la conversation artistique comme œuvre de partage. Les Récréâtrales sont invités pour leur expérience d’occupation et d’installation d’un territoire, à travers leur esthétique scénographique d’habiter les lieux ouverts de la ville, de créer des espaces de discussion. On est là pour partager cette expérience burkinabè. Au Burkina Faso, le théâtre est aussi un espace de cotisation, de parenté, de nouvelles amitiés, de nouvelles familles. On essaie de venir ici pour installer cet esprit en tentant de faire œuvre de contamination.

 Vous-même vous présentez ce vendredi aux Francophonies une lecture-performance, Sony, l’avertisseur entêté. Sony Labou Tansi, vingt ans après sa mort, est-il toujours le voyant de notre temps ?

Oui. Le poète est toujours hors de son temps. Le poète est toujours un homme penché qui voit plus loin que le reste, et qui peut prévenir les dérives et les malheurs. Dans plusieurs textes de Sony Labou Tansi, j’ai observé qu’il nous met en garde contre le recul de la conscience, du rêve, pour finalement faire place à la barbarie. Sony, l’avertisseur entêté est le poète dont la voix reste d’une extrême vérité et lucidité.

 

Source : RFI


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