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SAMS’K LE JAH, ARTISTE-MUSICIEN  » Beaucoup ont prévu la catastrophe après Blaise Compaoré »


Le musicien burkinabè né en Côte d’Ivoire, Sama Karim dit Sams’K le Jah, est à Abidjan, depuis le mercredi 12 novembre 2014 pour participer au festival de cinéma «Ciné droits libres». Il a accepté de répondre à nos questions le jeudi 13 novembre 2014, sur tout le processus de la récente insurrection au Burkina Faso.

 

Avec le rappeur Smockey, Sams’K le Jah est le co-fondateur du mouvement le Balai citoyen, un des premiers acteurs des manifestations qui ont débouché sur la démission de Blaise Compaoré. Dans cette interview, il explique comment tout a été or.

 

Quel est l’objet de votre présence à Abidjan ?

 

Je suis à Abidjan dans le cadre d’un festival de cinéma qui s’appelle « Ciné droits libres ». C’est un festival dont la particularité est de diffuser des films sur les droits humains, la liberté d’expression. Ce festival est né à Ouagadougou et il se répand dans certaines capitales africaines dont Abidjan, Dakar et d’autres capitales.

 

Est-ce vrai que le mouvement « Le Balai citoyen » a été l’un des premiers à lancer un appel à la désobéissance civile pour exiger le départ du pouvoir de Blaise Compaoré ?

Nous avons tout juste pris nos responsabilités en demandant à la jeunesse de s’assumer. Nous étions dans une dynamique telle que les dirigeants ne pouvaient plus ne pas respecter leurs paroles et  la Constitution ; alors il n’y avait plus de raisons que nous les respections. Nous ne sommes pas le seul mouvement au Burkina. Mais cela faisait un moment que nous avions lancé une campagne dans le sens de la désobéissance civile, en collaboration avec d’autres mouvements de la société civile et des partis politiques de l’opposition. Nous ne voulons donc pas revendiquer avoir été les premiers à lancer cet appel à la désobéissance civile.

 

Combien de membres compte Le Balai citoyen ?

 

Nous avons des milliers de membres qui sont des jeunes. Ce sont des fans de Sams’K le Jah, de Smockey ou d’autres personnes. En plus, nous nous réclamons des héritiers de Thomas Sankara. Il s’agit donc de nombreux jeunes, autant au Burkina qu’à l’extérieur, qui sont des « citoyens balayeurs » et que nous appelons affectueusement « cibal ». Ces jeunes sont également à Abidjan, à Bouaké, à New York, à Paris, etc. Ce sont donc des milliers de jeunes qui se sont reconnus dans notre appel, notre message et notre lutte.

 

Comment vous êtes-vous organisés pour occuper la rue, notamment la place de la Nation ?

 

Il s’agit de la place de la Révolution. Les anciens révolutionnaires avaient honte de la Révolution et l’ont rebaptisée place de la Nation. Mais nous avons continué à l’appeler place de la Révolution. Nous nous sommes organisés selon la stratégie appelée « les fourmis magnan », c’est-à-dire tout le monde dehors, partout et en même temps. Mais il faut dire que nous avions commencé à organiser les jeunes depuis très longtemps. Déjà, pendant les émissions de reggae que j’animais sur la radio, je lançais aux jeunes des appels à la conscientisation et à la nécessité de lutter. Petit à petit, le message a porté et est allé au-delà même du Burkina. Il y avait aussi des concerts que nous organisions dans certaines villes du Burkina au cours desquels nous lancions des appels au changement. Il y avait également des festivals de cinéma comme « Ciné droits libres » qu’on accompagnait dans des provinces au cours desquels nous portions toujours le même message. C’est donc un travail d’éducation qui a commencé depuis longtemps.

 

Avez-vous coordonné vos actions avec les opposants au régime de Blaise Compaoré ?

 

Oui, nous nous sommes retrouvés sur le terrain parce que nous avions le même objectif : Celui de faire respecter la Constitution.

 

Est-ce vrai que ces opposants ont eu recours à l’argent de certains hommes d’affaires et commerçants pour recruter des centaines de jeunes et d’anciens militaires pour mener l’insurrection ?

 

Je n’en sais rien. Je ne suis pas dans le secret des démons. Franchement, je n’en sais rien. En tant que membre du Balai citoyen, une organisation de la société civile, je sais que nous n’avons reçu aucun franc de la part de quelqu’un. Ce sont bien au contraire notre argent, notre temps et nos idées qui ont été mis à contribution. Au début, nous avons été banalisés, traités de tous les noms. Mais par la suite, nous avons eu la confiance de nombreuses personnes. Les jeunes croyaient déjà en nous avant que nous ne lancions le mouvement. Nous sommes des artistes restés constants dans le travail depuis le début de notre carrière. Il y a eu ce capital confiance qui existait déjà avec la jeunesse. Donc, nous n’avions pas eu besoin de gros moyens pour la mobilisation.

 

Avant sa chute, Blaise Compaoré avait été lâché par certains de ses proches avec qui il avait consolidé son régime, à savoir Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré, Salif Diallo…

 

Le pouvoir en place avait minimisé le départ de ces trois personnes qui étaient les piliers du système de Blaise Compaoré. Ils sont allés renforcer les rangs de l’opposition. Nous étions déjà sur le terrain en tant que mouvement de la société civile. Quand ils nous ont rejoints, cela a accéléré un certain nombre de choses.

 

Pensez-vous que Blaise Compaoré a été trahi par son chef d’état-major, le général Honoré Nabéré Traoré ?

 

Pas du tout. Jusqu’au vendredi 31 octobre 2014, le général Honoré Nabéré Traoré reconnaissait toujours la légitimité de Blaise Compaoré.

 

Selon vous, comment le lieutenant-colonel Isaac Zida, ex-numéro deux du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) de Blaise Compaoré, a-t-il réussi à s’imposer, alors que des figures comme Nabéré Traoré et le général à la retraite, Kouamé Lougué, étaient les premiers à revendiquer le fauteuil présidentiel ?

 

C’est l’armée qui a désigné Zida. Je ne sais pas pourquoi il a été désigné. Mais il a été le choix de toute la hiérarchie militaire pour gérer la période trouble que nous avons vécue.

 

Le général à la retraite Kouamé Lougué qui a les deux jambes dans les plâtres a-t-il été molesté pour le contraindre à renoncer au fauteuil présidentiel ?

 

J’ai également vu les images où il avait deux jambes dans les plâtres. Et j’ai même appris qu’il s’est présenté à la télévision pour se proclamer président de la République. En ce qui nous concerne, nous avions un travail à faire et nous l’avons fait. Pour ceux qui veulent maintenant revendiquer la présidence, nous leur rappelons qu’il ne s’agit pas d’un coup d’Etat militaire. C’est un soulèvement, une insurrection populaire qui a fait partir Blaise Compaoré du pouvoir. Aucun militaire ne peut venir revendiquer le pouvoir.

 

Avec Smockey, le porte-parole du Balai citoyen, vous avez pris partie pour Zida plutôt que pour une transition civile ou de l’opposition. Cela ne vous a-t-il pas discrédité ?

 

Nous avions assiégé l’Etat major des forces armées du Burkina, dans la nuit du 30 au 31 octobre 2014. C’est le peuple qui a demandé à l’armée de prendre ses responsabilités, et non le Balai citoyen seul. L’armée a pris ses responsabilités en demandant à Zida d’assumer le rôle dans lequel il est présentement. Donc, nous n’avons pas choisi quelqu’un. Nous avons demandé à l’armée de se joindre à la lutte du peuple parce que, sans elle, il était difficile de faire partir Blaise Compaoré du pouvoir.

 

Il est clair que la transition est incertaine car Zida ne rassure pas sur le temps qu’il mettra avant de rendre le pouvoir aux civils. Comment voyez-vous cette transition ?

 

Vous devez comprendre que Blaise Compaoré n’a pas fait 27 jours au pouvoir, mais 27 ans. Ces 27 années sont bien plus longues que 1 mois, 2 mois, 3 mois ou 6 mois. Notre souhait est que les uns et les autres s’entendent sur les bases d’une transition pour que quelque chose de clair soit défini. La stabilité entre griffes est revenue au lendemain de la démission de Blaise Compaoré parce que l’armée a joué un rôle essentiel. Un civil n’aurait pas ramené immédiatement le calme. Nous devons être lucides. Le lieutenant-colonel Zida sait bien que ce qui s’est passé n’est pas un coup d’Etat militaire, mais une insurrection populaire. Les mêmes jeunes, les mêmes hommes et les mêmes femmes qui sont sortis dans la rue pour exiger le départ de Blaise Compaoré sont encore au Burkina. Ils sont encore capables de se remobiliser pour faire partir des imposteurs. A ce niveau, il n’y a pas d’inquiétude. Je suis serein car, pour moi, nous avons affaire à une génération de militaires qui ont une parole. Ces militaires ont donné leur parole et ils vont la respecter.

 

Le Balai citoyen et le Collectif anti-référendum sont cités comme les mouvements qui étaient en première ligne des manifestations des 30 et 31 octobre 2014. Sont-ils aujourd’hui associés aux pourparlers pour la réussite de la transition ?

 

Tout le monde est impliqué. Il s’agit d’un dialogue inclusif. Les religieux, les chefs coutumiers, la société civile, les militaires, les syndicats, les partis politiques de l’opposition et même l’ex-majorité présidentielle sont associés.

 

Les informations font état d’une chasse à l’homme contre des proches de Blaise Compaoré. Le confirmez-vous ?

 

Non, pas du tout. La révolution a eu lieu. Ce sont seulement des biens qui ont été saccagés. Aucune personne du système de Blaise Compaoré n’a été physiquement agressé. Pourtant nous savions où les trouver. Ceci pour dire que les manifestants n’étaient pas habités par la haine. Ils étaient juste furieux et s’en sont pris aux biens. Mais ils ont évité de toucher aux personnes. Ailleurs, des personnes auraient été liquidées. Mais au Burkina Faso, les choses ne se sont pas ainsi passées.

 

Blaise Compaoré peut-il aujourd’hui rentrer au Burkina Faso sans être inquiété ?

 

C’est lui qui a décidé de partir. Nous ne l’avons pas chassé du Burkina. Nous lui avions juste demandé de quitter la Présidence. C’est tout. Il peut revenir au pays. Au Burkina, c’est seulement dans les derniers jours avant son départ du pouvoir que les gens ont commencé à l’insulter. Ils demandaient depuis longtemps son départ du pouvoir. Mais il n’y a jamais eu d’injures à son endroit. Donc, jusqu’à son départ, tous les Burkinabè avaient toujours du respect pour Blaise Compaoré. Malheureusement, il n’a pas su prendre la bonne mesure des choses parce qu’il avait peut-être des mauvais conseillers. Nous ne le savons pas. Mais toujours est-il qu’il y a eu de l’entêtement qui a conduit à cette situation. Il aurait pu retirer ce projet de loi et gérer son pouvoir jusqu’en novembre 2015. Il allait sortir par la grande porte : avoir des titres de médiateurs et autres. Aujourd’hui, il a tout foutu en l’air. A vouloir trop gagner, on perd tout. Comme le dit un proverbe moaga : « Si tu refuses une chose qu’on te donne avec la main gauche, tu finiras par la ramasser à terre ».

 

Le Mogho Naaba, Roi des Mossé, a-t-il joué un rôle essentiel dans le dénouement de cette crise burkinabè. Quel est son réel pouvoir ?

 

Le Mogho Naaba est une personnalité très respectée. Il coiffe l’ethnie moaga qui représente près de la moitié de la population burkinabè. Il a certainement un pouvoir. C’est une autorité morale qui peut peser dans la balance. La preuve, il est tout le temps consulté par les uns et les autres pour aider à sortir des crises. Il est bien d’avoir encore ce type de figures dans la société pour permettre d’éviter un certain nombre de catastrophes. Il est difficile pour un pays qui n’a pas d’autorité morale de s’en sortir. Il n’y a pas que le Mogho Naaba. L’Archevêque et le grand Imam peuvent également jouer ce rôle.

 

Avez-vous un mot à dire sur la terre qui a accueilli Blaise Compaoré, la Côte d’Ivoire ?

 

Blaise est Ivoirien de par sa femme. Il est chez lui. Il a été accueilli chez lui.

 

Votre appel au peuple burkinabè, relativement à cette crise.

 

Pour moi, il n’y a plus de crise. Il s’agit juste de pouvoir s’asseoir, discuter et trouver la bonne porte de sortie de cette crise pour le peuple. Il faut se rappeler chaque instant que nous avons un très beau pays. Nous devons travailler pour que ce pays avance. Beaucoup de personnes avaient prévu une catastrophe, un déluge après le départ de Blaise Compaoré. Il n’en est rien. Le Burkina Faso ira d’ailleurs beaucoup mieux. C’est ce que nous souhaitons pour ce pays. D’ailleurs, au lendemain du départ du pouvoir de Blaise Compaoré, les Burkinabè sont sortis balayer toutes les rues pour montrer que leur seul objectif était le changement. Il faut se mettre ensemble et comprendre que dans la vie, tout le monde peut se tromper. Blaise Compaoré et ses amis se sont trompés. Mais ils ne doivent pas devenir les ennemis du peuple. Il faut savoir se pardonner car comme je le dis dans l’une de mes chansons : le pays a besoin de tous ses enfants pour se construire. Il faut donc éviter les exclusions et les frustrations qui nous ont conduits à cette crise.

 

 Source : Afriki presse, Interview réalisée par Alex A, à Abidjan


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